Le Canal de Bohère, 150 ans d'Histoire (1864 - 2014)

LE CANAL DE BOHERA

150 ans d’histoire

(1864 – 2014)

En ce qui concerne l’histoire de la construction du canal de Bohera, l’ouvrage de référence restera sans nul doute celui de Félix Mercader ; « la Vie agitée du Canal de Bohère » (disponible à la Médiathèque de Prades et duquel il conviendra au cours de cet article de faire quelques emprunts.

L’idée de pouvoir arroser les différents plateaux du sud de Prades remonte à 1786, mais la Révolution française a mis en sommeil ce projet. Ce dernier renaît finalement en 1830 lors d’une assemblée de tenanciers avant qu’en 1837 ne soit dressé un avant-projet du futur canal d’irrigation. Mais l’avancée des démarches est arrêtée nette devant les protestations des propriétaires terriens du Roussillon, qui pensant qu’une prise d’eau en amont de la Têt ne pourrait que nuire à leurs propres terrains, obligèrent alors le Préfet du département à mettre un terme aux opérations. Les projets des années 1844 et 1855 resteront quant à eux sans suite.

Joseph Delamont, mercier à Prades, décide donc d’employer « les grands moyens » et de s’adresser directement à l’empereur Napoléon III. Appuyé par les communes et signataires de pétitions, Delamont rédige un long mémoire au souverain impérial dans lequel le mercier rappelle que l’ancien roi de Majorque avait déjà accordé aux habitants de Prades et de Codalet la possibilité de réaliser des prises d’eau dans la Têt pour les besoins des moulins et de l’irrigation, et ce dès 1305. Mais malgré cela, le projet piétine, même si le gouvernement semble intéressé, et que la commune de Vinça demande la prolongation du canal jusque sur son territoire, l’opposition administrative roussillonnaise s’active.

Alors de nouveau l’on fait le choix d’en appeler à l’Empereur, initiative cette fois couronnée de succès puisque le 14 mars 1863, le décret impérial de concession est enfin publié. Décret qui autorise les communes de Rià, Codalet, Prades, Clarà, Los Masos (puis Serdinya, Fuillà, Cornellà et Taurinyà si celles-ci le souhaitent) à se réunir en association syndicale sous le titre de « Société du Canal de Bohère ». Bien entendu, les usagers du futur canal s’engagent à maintenir la même quantité d’eau à leurs voisins roussillonnais.

La réalisation du canal revint à l’ingénieur Teyssonnières, conducteur des ponts et chaussés à Prades. Choix qui devait être contesté, mais cela ne dérangea en rien l’ingénieur qui remit son projet final en 1863 pour un montant total des travaux estimé à 300.000 francs. La construction sera l’affaire d’entrepreneurs pradéens, Curière et Bonafé, elle débute en 1864 (une fois les éventuelles protestations écartées). En 1866, le canal atteint Villefranche et le coup des travaux est alors réévalué à 510.000 francs. L’année suivante, l’ingénieur Teyssonnières vient à décéder, il est remplacé par les frères Grill alors que la construction peine à atteindre la zone des Embullas. En 1870, le canal arrose les terres de Ria, Sirach et Codalet et les travaux avancent vers St-Michel-de-Cuxa alors que le montant avoisine les 600.000 francs. Enfin, en 1881 la réalisation du canal de Bohère touche à sa fin, il aura coûté plus d’un million de francs contre un budget prévisionnel de 300.000 francs.

Mais une telle réalisation va laisser des traces dans la situation financière des exploitants et creuser une dette abyssale pour les tenanciers. Certains, trop pauvres, sont considérés comme insolvables, d’autres, trop riches, attendent que cet épisode passe pensant que la « caisse des dépôts finira par abandonner sa créance ». Après de nombreuses saisies et une dette qui se creuse à 1.227.000 francs en raison des intérêts, celle-ci est finalement ramenée à 135.000 francs en 1912 et sera définitivement réglée après la 1e Guerre Mondiale.

Pourtant, le canal ne donne pas entière satisfaction et provoque de l’agitation. Le ministre de l’agriculture intervient en décembre 1881 ainsi : « Les irrégularités d’arrosage et les pertes d’eau dont on se plaint proviennent de ce que la première partie du canal, sur une longueur de 21 kilomètres, a été très mal établie, sous la direction même de ceux qui réclament aujourd’hui. A tout instant des ouvrages s’écroulent et le Syndicat est impuissant à cause de l’importance des avaries et de l’insuffisance des ressources à maintenir l’eau dans le canal d’une façon permanente ».

Face à tumulte toujours grandissant le système change ses statuts et en 1932 est créé un syndicat de gestion intercommunal dont le premier président sera Joseph Rous, député de Prades. Ainsi à partir de cette année fallait-il procéder à la modernisation du canal, plusieurs campagnes allaient aboutir avec la construction d’un pont siphon en 1933, impressionnant ensemble de tuyaux et d’arches au niveau de Villefranche, œuvre de l’ingénieur Henri Allard. La construction du canal de Bohère était alors véritablement achevée.

Voici donc un épisode tumultueux de l’histoire du Conflent et de ses villages qu’est celui de la naissance du canal de Bohère. 17 ans ont été nécessaires pour réaliser ce chef-d’œuvre d’ingénierie, long de 42 kilomètres, et considéré comme le plus grand canal d’irrigation du département. Même si celui-ci n’atteindra finalement son rendement maximal qu’à partir de 1933. Signe évident que « le jeu en valait la chandelle », les nombreux champs qui le jalonnent, témoignage du renouveau agricole qui suivit l’achèvement du canal. Aujourd’hui, le canal de Bohere a perdu sa mission première mais il fait encore le bonheur des marcheurs qui suivent son cours depuis Saint-Michel-de-Cuxa, par un dimanche ensoleillé…

Pour aller plus loin :

-          Des documents relatifs à la construction du canal de Bohère sont conservés aux Archives départementales des Pyrénées-Orientales

-          MERCADER, F., la Vie agitée du canal de Bohère

-          D’Ille et d’ailleurs, n°17

-          CHARBONNIER, M.,Une petite histoire des canaux de Prades et ses environs

 

C. ROMEIRA - Service Patrimoine de la Ville de PRADES - Juillet 2014

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